Patrouille rurale

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mercredi 19 janvier 2011

Ils ont cassé mon rêve ! (2)

(Suite du billet du 18/01 ici)

C’est con, mais quand vous recevez quelques messages dans lesquels il est écrit « Je ne m'habitue pas à ne plus te voir à nos côtés », « Je préférerai vivement que tu reviennes », « REVIENS s'il te plait », vous vous attendez quelque part à ne pas partir ...

Aussi quand j’ai demandé à ce qu’un élève étaye et argumente le fait que je puisse rester, je suis resté un peu décontenancé que toute la classe ne se lève pas.
Je suis resté surpris qu’un élève n’avance pas l’argument tant de fois développé par le directeur, à savoir « Nous sommes partis à 32, nous devons o-bli-ga-toi-re-ment finir à 32 ! ».
J’ai été étonné qu’un élève ne dise pas que je suis là pour un job (un livre) et qu’au final, qu’ils soient tous ou qu'ils ne soient pas tous des ingrats, ça ne doit pas m’empêcher de terminer ce job.
J’aurai été épaté qu’un élève reconnaisse s’être trompé, ait fait profil bas et qu’il ait argumenté que puisque c’était mon premier coup de gueule, je pouvais offrir une seconde chance à toute la classe.
J’aurai été émerveillé qu’un élève plus malicieux me dise qu’au final, j’adore tellement mon métier de photographe qu’en fait je bluffe et que je ne vais surtout pas abandonner un tel terrain de chasse ! J’aurai même largement souri à un tel argument car ce n’est pas loin d’être la vérité.

Au lieu de tout cela, ce fut quasiment silence total. Ce qui m’a laissé sans voix, mais pas dans le bon sens du terme.
Je n’ai donc pas su prendre de décision. Ce qui a entraîné quelque tristesse dans mon regard pour quelques élèves qui à mon sens méritaient largement, que pour eux, je poursuive ma route à leurs côtés.
J’ai donc pris le temps de la réflexion, durant 90 minutes à l’heure du repas, tentant de faire le tri entre raison et cœur, en proie à un doute conséquent. Le directeur ne veut pas que je parte, certes. Mais pour moi, qu’est ce qui compte le plus, les élèves ou le directeur ? A cet instant, ce sont les élèves puisqu’ils sont à la fois mes compagnons de route et l’objet de mon livre.

Quatre-vingt dix minutes, c’est long. Je m’attendais à être assailli de messages, mais non. J’étais encore dans l’utopie.
Seuls deux élèves m’ont adressé un SMS.
Moment difficile de réflexion. D’un côté, deux SMS, six ou sept élèves qui –à leurs yeux– ne méritent pas une sanction collective (mon départ) et de l’autre côté une vingtaine de personnes silencieuses ou que je sens hostiles. S’il s’agissait d’un vote, la voix de la raison impose le départ. La raison me dit aussi que vivre en milieu hostile, je ne sais pas, j’ai passé l’âge d’apprendre, et je n’ai pas envie d’apprendre. La raison (et mon vécu) me disent aussi que quand je ne ressens plus les choses, je ne dois plus les faire. Parce que je les fais mal.
Pourtant, j’ai finalement mis de côté la raison pour laisser parler mon cœur. Parce que j’ai conclu mon propos en matinée en disant aux élèves « Je reste avec un souhait, c’est celui de vous voir vous engager à fond, je dis bien à fond, pour qu’au final vous n’ayez pas complètement brisé mon rêve ! », parce que le SMS reçu à 13h18 m’a fait pleurer, j’ai choisi de voir cette élève et quelques autres réaliser mon rêve. J’ai choisi de continuer mon chemin auprès de ces élèves.

Néanmoins quand j’ai quitté l’école pour rentrer chez moi en milieu d’après-midi, j’étais loin d’être heureux de ma décision. J’étais même au plus mal. Là où j’ai rêvé un paradis, il n’y avait plus à mes yeux que quelques fleurs en terrain hostile.
Fausse impression liée à la tension nerveuse ?
Réalité des choses liée à quelques jalousies ressenties ?
... L’avenir le dira.
Mais je sais que demain mon cœur va m’attirer vers quelques élèves quand la raison va m’écarter des autres. J’ai déjà avancé en terrain miné (au Liban en 1987) mais je trouve celui-là autrement plus difficile à traverser que les plaines de Zahlé !
Pour la première fois depuis le 5 septembre, alors que c’est moi qui ai toujours aidé les élèves, je devine qu’il va falloir que je m’appuie sur les élèves pour lesquels j’ai choisi d’écarter la raison pour continuer à avancer.
Et ça me met une boule au creux du ventre assez difficile à supporter ...
En début de soirée, une de ces élèves m’a écrit : « J'ai un rêve, et je veux qu'il se réalise ! ». Pour elle, la première étape, c’est aujourd’hui avec l’épreuve théorique du permis de chasse. Mon rêve, c’est qu’elle réalise le sien.
J’aurai tant voulu continuer à penser la même chose de toute la promo sans exception !
...


Il est parfois des choses simples qui font chaud au coeur. La photo ci-dessous en est l'illustration parfaite. Quarante-cinq mercis dans un SMS.
Ma boule au ventre est à cet instant un peu moins lourde. Ne serait-ce que pour recevoir ce SMS, j'ai eu raison d'écouter mon coeur ;-)

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