Patrouille rurale

Patrouille rurale

lundi 20 décembre 2010

Mansuétude ou médiocritude ?

Mercredi dernier, c’était une marche de nuit de 18 km au programme des élèves. Comme le matin, un contrôle en cours de topographie avait tourné au drame avec des notes catastrophiques, le directeur avait annoncé la couleur : « Vous êtes condamnés à avoir 20/20 afin de remonter ces notes de merde ! »
Bon, une marche à l’école des gardes, fut-elle de nuit, n’est quand même pas un exercice très difficile, d’autant que le parcours précis est donné à chaque élève afin qu’il le reporte sur sa carte, le professeur vérifiant que chaque élève a bien recopié le parcours. A partir de là, chaque élève –même de garde– disposait d’au moins 30 bonnes minutes pour regarder le parcours et le comprendre. Les élèves marchent par groupe de 5 ou 6, ce qui facilite la tâche puisque les compétences s’additionnent.
Il n’y avait aucune difficulté d’orientation majeure (ni même mineure d’ailleurs), aucun passage périlleux, ni aucun piège (du genre un chemin piétonnier non indiqué sur la carte mais pouvant, surtout de nuit, jeter le trouble sur le terrain). J’étais donc confiant à ce que tous les élèves reviennent avec un 20/20, même si le directeur avait annoncé la couleur avant le départ : « Toute erreur de parcours sera sanctionnée de 5 points en moins pour votre note et de 10 pompes sur le terrain, les pompes n’évitant pas les points en moins ! ». Il avait aussi ajouté que tout abandon entraînerait la note de 0/20 pour tout le groupe d’élèves auquel l’abandon était imputable. Une manière de motiver les élèves à ne pas laisser un camarade en difficulté.

Quoique je jugeais que les élèves devaient être super motivés à ne pas se tromper puiqu’ils avaient la nécessité absolue de corriger une note de contrôle catastrophique par une note maximum à la marche, je préférais prendre quelques précautions en expliquant à un élève dans chaque groupe les points éventuellement délicats, en donnant quelques conseils de marche (profiter des descentes pour gagner du temps par exemple), en leur demandant de jalonner leur parcours tous les 250 mètres afin de vérifier leur progression et leur horaire de marche, et en leur expliquant la nécessité de préparer à la boussole leur parcours.
J’avoue que j’outrepasse mon simple rôle d’observateur, mais d’une part je n’aurais pas agi différemment si j’avais été élève et d’autre part, j’avais vu que le directeur et le professeur avaient été peinés des notes du matin, et je souhaitais les voir retrouver le sourire avec les six groupes de marche notés 20/20.

Cinq heures après le départ, le verdict tombait et j’étais consterné : 20/20, 10/20, 05/20 et trois fois 0/20. Cherchez l’erreur ! Six groupes de marche et 19 erreurs de parcours, et des retards à l’arrivée frôlant parfois les 40 minutes (pour 4 heures de marche), un seul groupe n’ayant pas fait une seule erreur de parcours. Pire, j’avais très clairement expliqué le chemin à emprunter pour la première difficulté … et trois groupes sur six s’y sont trompés !!! Sans oublier que j’avais averti de la voix et par SMS un groupe qu’il se trompait de chemin, mais que les élèves ne marchant pas groupés, le demi-tour a pris quelques temps …

J’ai tenté de comprendre. Le directeur aussi d’ailleurs. Et là surprise ! Aucun élève n’a semble t’il utilisé sa boussole. Certains élèves n’ont visiblement pas regardé la carte, se contentant de suivre le premier … qui se plantait allégrement. Un élève a même annoncé avoir lu la carte à l’envers (!).
J’ai constaté avec effroi que certains élèves n’avaient ni suivi mes conseils, ni même tout simplement préparé la marche. Et quand le lendemain après-midi, le directeur a donné un cours de topo au tableau noir* dans lequel il retraçait un schéma qui reprenait mot pour mot ce que j’avais expliqué la veille au soir, j’ai eu la très triste impression qu’il parlait dans le vide … :-(

J’avoue ma consternation. Comment peut-on, quant on a eu un 03/20 ou 05/20, ne pas TOUT mettre en œuvre pour obtenir un 20/20 afin de remonter sa moyenne ? D’autant que la simple lecture de la carte permettait d’arriver sans se tromper !
Je rentrais donc chez moi assez dépité et catastrophé. Inquiet aussi. Parce que le seul groupe qui ne s’est pas du tout trompé … est le groupe avec lequel j’avais marché. Les 5 élèves de "mon" groupe sont bien placés pour savoir que je ne les ai jamais aidés en cartographie durant la marche. Je me suis contenté d’essayer de faire des photos (très difficile la nuit !) et de gérer la marche d’une élève asthmatique, de l’aider et l’accompagner lors des deux crises qu’elle a eu durant la marche. Je n’ai d’ailleurs jamais eu à jouer le rôle de la locomotive puisqu’une élève s’en est parfaitement chargée, me compliquant d’ailleurs la tâche à plusieurs reprises en refusant de lever un peu le pied quand l’élève asthmatique était en difficulté.
Pour être tout à fait honnête, mon seul conseil a été donné dans une bifurcation dans un village où il fallait se diriger vers un cimetière. Conseil qui a consisté à indiquer que sur le panneau au mur, il était justement indiqué "cimetière".
A l'arrivée, critiques et remarques n’ont pas tardé. Si le groupe qui ne s’est pas trompé ne s’est pas trompé, c’est justement parce que j’y étais et que j’ai fait le boulot ! Non seulement, certains élèves ne m’ont visiblement pas cru quand j’ai dit que ce n’était pas le cas, mais de surcroît, elles n’ont pas plus cru leurs camarades qui leur ont tenu le même discours.

Conclusion ? D’abord le professeur a rectifié, par mansuétude, les notes en annulant les pénalités. Ce qui fait que trois groupes ont obtenu 20/20.
Ensuite et par chance, 4 des 6 groupes ont bénéficié d'un gain de temps dû à une erreur du professeur qui a calculé le temps à réaliser sur la base de 19 km, soit 4h21, alors que la distance exacte est de 18 km, soit 4 heures. De ce fait, la plus mauvaise note est donc de 10,50/20.
Malgré cela, les réflexions sur ma présence dans le groupe non fautif ont fusé. Je me dis que j’aurai encore plus mal vécu l’après course si le résultat avait été celui obtenu sur le terrain ! Sanction pour moi : le directeur ne veut pas que la prochaine fois je marche avec les élèves. Bon, ça, ça n’est pas encore fait comme sanction ! ;-)
Revers de la médaille, est-ce que cette mansuétude favorise le dépassement de soi ? Je ne pense pas. Allez expliquer à des élèves qui se sont bougés pour réussir sans faute que dix de leurs camarades ont la note maximum tout en ayant fait une ou plusieurs erreurs ? Je ne suis pas sûr que la prochaine fois ils mettent autant d’ardeur à réussir … puisque même les mauvais réussissent. On est, avec cette mansuétude, pas loin de l’émission de Jacques Martin où tous les petits enfants obtiennent 20/20 même quand ils piaillent. :-(
Mansuétude, certes, mais n’introduit-elle pas parallèlement la notion de médiocritude ?

* En salle de classe, le tableau est blanc!



1 commentaire:

  1. Moi ce qui me fait rire c'est que les gens disent que tu nous a aider, mais étaient-ils la pour le voir?!

    Nous savons comme même si tu a fait la locomotive ou pas! Et ben non la seul fois ou tu nous aider c’était pour le cimetière, il y a même un moment ou tu a tourner heureusement qu'avec Lauriane on a insisté! hiiih!
    Enfin maintenant on a plus qu'a montrer a notre prochaine marche qu'on arrive a trouver les chemins sans ton aide!

    Maïté

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